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Extrait 1 :
Que l’homme sans la foi ne peut connaître le vrai bien, ni la justice.
Tous les hommes recherchent d’être heureux. Cela est sans exception, quelques différents moyens qu’ils y emploient. Ils tendent tous à ce but. Ce qui fait que les uns vont à la guerre et que les autres n’y vont pas est ce même désir qui est dans tous les deux, accompagné de différentes vues. La volonté [ne] fait jamais la moindre démarche que vers cet objet. C’est le motif de toutes les actions de tous les hommes. Jusqu’à ceux qui vont se pendre.
Et cependant depuis un si grand nombre d’années jamais personne, sans la foi, n’est arrivé à ce point où tous visent continuellement. Tous se plaignent, princes, sujets, nobles, roturiers, vieux, jeunes, forts, faibles, savants, ignorants, sains, malades, de tous pays, de tous les temps, de tous âges et de toutes conditions.
Une épreuve si longue, si continuelle et si uniforme devrait bien nous convaincre de notre impuissance d’arriver au bien par nos efforts. Mais l’exemple nous instruit peu. Il n’est jamais si parfaitement semblable qu’il n’y ait quelque délicate différence, et c’est de là que nous attendons que notre attente ne sera pas déçue en cette occasion comme en l’autre. Et ainsi, le présent ne nous satisfaisant jamais, l’expérience nous pipe*, et de malheur en malheur nous mène jusqu’à la mort qui en est un comble éternel.
Qu’est‑ce donc que nous crie cette avidité et cette impuissance, sinon qu’il y a eu autrefois dans l’homme un véritable bonheur, dont il ne lui reste maintenant que la marque et la trace toute vide, et qu’il essaie inutilement de remplir de tout ce qui l’environne, recherchant des choses absentes le secours qu’il n’obtient pas des présentes, mais qui en sont toutes incapables, parce que ce gouffre infini ne peut être rempli que par un objet infini et immuable, c’est‑à‑dire que par Dieu même.
Lui seul est son véritable bien. Et depuis qu’il l’a quitté, c’est une chose étrange qu’il n’y a rien dans la nature qui n’ait été capable de lui en tenir la place : astres, ciel, terre, éléments, plantes, choux, poireaux, animaux, insectes, veaux, serpents, fièvre, peste, guerre, famine, vices, adultère, inceste. Et depuis qu’il a perdu le vrai bien, tout également peut lui paraître tel, jusqu’à sa destruction propre, quoique si contraire à Dieu, à la raison et à la nature tout ensemble.
Les uns le cherchent dans l’autorité, les autres dans les curiosités et dans les sciences, les autres dans les voluptés. D’autres, qui en ont en effet plus approché, ont considéré qu’il est nécessaire que ce bien universel que tous les hommes désirent ne soit dans aucune des choses particulières qui ne peuvent être possédées que par un seul et qui, étant partagées, affligent plus leur possesseur par le manque de la partie qu’ils n’ont pas qu’elles ne le contentent par la jouissance de celle [qui] lui appartient. Ils ont compris que le vrai bien devait être tel que tous pussent le posséder à la fois sans diminution et sans envie, et que personne ne le pût perdre contre son gré. Et leur raison est que ce désir étant naturel à l’homme puisqu’il est nécessairement dans tous et qu’il ne peut pas ne le pas avoir, ils en concluent…
Blaise PASCAL, Pensées, Fragment Souverain bien n° 2 / 2, (B 248), édition électronique, établie par G. Descotes, G. Proust, 2011.
* l'expérience ne nous instruit pas
Extrait 2 :
La foi est un don de Dieu. Ne croyez pas que nous disions que c’est un don de raisonnement. Les autres religions ne disent pas cela de leur foi. Elles ne donnaient que le raisonner pour y arriver, qui n’y mène pas néanmoins.
Blaise PASCAL, Pensées, Fragment n° 34 / 37, édition électronique, établie par G. Descotes, G. Proust, 2011.
Questions :
1. Montrez en quoi le bonheur est, aux yeux des hommes, le souverain bien, alors même qu'en le recherchant, ils adoptent des conduites opposées et qui les en éloignent.
2. Expliquez : "[La recherche du bonheur] est le motif de toutes les actions de tous les hommes. Jusqu’à ceux qui vont se pendre."
3. Analysez la manière dont Pascal en arrive à conclure que notre existence "de malheur en malheur nous mène jusqu’à la mort".
4. Le fait que nous ne sachions pas nous tenir au présent est-il la seule raison à cela ?
5. Ceux qui, manifestant plus de sagesse, chercheraient le bonheur dans autre chose que des biens susceptibles de leur être retirés une fois acquis, sont-ils cependant parvenus au bonheur ?
6. Expliquez : "jamais personne, sans la foi, n’est arrivé à ce point où tous visent continuellement." Qu'en conclure, quant à la recherche du bonheur selon Pascal ?
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